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Le Blog du Fouta
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15 février 2014

Les traits d'ensemble du Fouta-Djalon

Introduction

A quelque 200 kilomètres au nord-est de Conakry, la voie ferrée brusquement attaque la dure rampe de Sougueta: la montagne du Fouta-Dialon commence ici. Sa masse s'étend de 10°10 de latitude Nord jusqu'à 12°30 ; et en longitude, à l'Ouest de Greenwich, de 11°30 jusqu'aux environs de 13°30. En gros, 80.000 kilomètres carrés. La Suisse y tiendrait presque deux fois !
Si l'on songe que Mali est sous la latitude de Pondichéry, ou de la célèbre baie de Nha-Thrang sur la « Côte de Jade » toute embuée des vapeurs presque équatoriales dont l'étuve de Conakry donne une redoutable idée, on petit s'étonner d'avoir là, en pleine Afrique Noire, un « Fouta », c'est-à-dire un pays Peuhl.
Le domaine du Peuhl, c'est en effet la zone soudanienne, des pays du Nil jusqu'aux arides plaines sénégalaises. Là, une saison sèche de six à huit mois laisse le champ libre au peuple pasteur qui parcourt à l'envi les immensités libres.
Or, avec le massif de l'Adamaoua au Cameroun, le Fouta-Dialon est la seule région où la race Peuhle se soit aventurée vers le golfe, loin vers le Sud. Grâce à ce trait singulier, vainqueurs ici de noirs fort primitifs et non plus de sédentaires organisés, Mandingues, Mossis ou autres, les Peuhls ont réussi en se fixant à imposer avec leur domination politique, leur langue, leur religion, toute leur civilisation: ils ont absorbé les vaincus.
Le Fouta-Dialon est le château d'eau de l'Afrique Occidentale : tel une immense toiture, il déverse ses gouttières en tous sens:

  • Gambie, Sénégal vers le Nord
  • Tinkisso sur la marge orientale vers le Niger
  • fleuves côtiers vers les rivières du Sud

Or l'Adamaoua seul a un rôle comparable, déversant ses eaux vers le Niger, le Tchad et le Congo.
Deux châteaux d'eau, les deux bastions Peuhl : c'est bien la montagne qui offre à cette race le cadre idéal où elle peut fixer un solide empire, grâce au relief, au climat, à la vocation tant pastorale qu'agricole de son terroir, au niveau méprisable des fétichistes, incapables de résister, n'ayant rien à opposer, souvent même prêts à admirer, à se soumettre et à servir.

Les traits physiques

Structure et relief

— Le Fouta-Dialon n'est qu'une partie, la plus originale sans doute, de la bande relevée qui borde la table d'Afrique occidentale sur 1.000 kilomètres, de la Guinée portugaise jusqu'au Sud-Est en Côte d'Ivoire. Etrange singularité que cette ligne de reliefs extrêmement jeunes en bordure d'une immense plate-forme dont la monotonie est infinie !
Le socle du massif fut plissé, puis complètement raboté par l'érosion dès l'aube des temps géologiques. Déjà au début de l'ère primaire, les sédiments tapissaient la pénéplaine. Dès lors tous les efforts de plissement ultérieurs devaient échouer devant la rigidité de ce môle inébranlable. Aussi l'a-t-on justement comparé aux « boucliers » de Scandinavie et du Canada.
Les époques Cambrienne et Ordovicienne virent s'entasser à la surface d'énormes lits de sable amassés par les flots d'une mer peu profonde ou par les vents. Peu à peu ces sables s'agglomérèrent en épais bancs de grès.
Par endroits, le bloc se fissurait, rançon de sa résistance. Il se truffait alors de venues éruptives, de gabbros et dolérites. Lorsque celles-ci arrivaient au contact de sédiments, elles recuisaient certains bancs plus argileux qui, métamorphisés, devenaient schistes et cornéennes.
Mais cela est si ancien qu'il ne resterait aujourd'hui qu'une immensité plane, connue dans la plupart des autres régions de l'Afrique Occidentale si, tout récemment, il n'y avait eu du nouveau. Est-ce l'effet du contre-coup des plissements de l'ère tertiaire, ceux que nous nommons « alpins »? Ou celui de l'effondrement du vieux continent qui reliait à notre bouclier celui du Brésil, son frère jumeau ? Quoi qu'il en soit, voici notre région qui se disloque; par un jeu de failles le bloc se disjoint des étendues septentrionales, craque, se fendille, se hisse peu à peu comme un môle, à plus de 1.000, 1.500 mètres et au delà.
Le soulèvement est beaucoup plus violent en direction du Sud-Est. Le massif est donc dissymétrique, plongeant en pente douce vers le Nord-Ouest.
Alors l'érosion mord à nouveau, surtout au Sud-Est où les pluies, sub-équatoriales sont plus abondantes. Les torrents ont déjà réussi à arracher la couverture sédimentaire: le socle est si dénudé qu'on se demande s'il a jamais été recouvert de grès !
Au contraire, à l'extrémité Nord-Ouest, la pénéplaine, soulevée de quelques centaines de mètres à peine, conserve sa monotonie, rompue seulement par les gorges peu profondes des torrents.
Mais au centre, en moyenne Guinée française, le Fouta-Dialon, tout en atteignant en général plus de 1.000 mètres, et même 1.515 près de Mali, a pu conserver soit manteau de grès, son hérissement de pitons, de sombre dolérite. ses blocs uniformes, ses aiguilles de gabbros, ses falaises, ses cañons où s'opposent ocres, gris, noirs ou rouges. Les torrents mugissent, tout au fond, parfois inaccessibles; sur les pyramides inviolées règnent seuls les djinns.
Plus curieux encore est le paysage des plateaux, à Labé, dans les Timbis: on se croirait en Limousin ! Le relief est en creux si l'on peut dire; sans les profondes entailles des ravins on pourrait oublier que la pénéplaine a bien été soulevée !
Ces hauts plateaux allongés du Nord au Sud, de Mali à Dalaba, un peu au delà du douzième degré de méridien Ouest, sont le coeur du Fouta, quoique l'ensemble du pays déborde aussi sur les grès moins soulevés de l'Ouest, tout comme sur les plateaux du Haut Bafing et de la Tené, à l'Est, où le socle cristallin est aujourd'hui décapé.
Le vrai Fouta, l'axe central, est bien celui que fréquentent déjà les voitures de tourisme, vallons de Dalaba, chutes du Kokoulo au Kin-Kon près de Pita, chutes de la Ditin près de Kébali, ou falaises de Mali. Et quels sites plus grandioses encore, tels que ceux de la Kakrima à Labé.
A tel point que le géographe E.-F. Gautier s'étonnait d'un relief si jeune. Et surtout, comment se fait-il que le plateau de Labé soit encore pour ainsi dire intact ? L'idée lui est donc venue que jusqu'au Quaternaire le Sahara s'étendait jusqu'ici : pas d'eau, pas de torrents. Tel un Tassili, le Fouta-Dialon aurait été protégé contre l'érosion normale par la sécheresse

Climat

Heureusement, le climat foutanien est devenu plus humain. Grâce a sa latitude et à sa position, le massif est fort arrosé, en été, sans être privé de la salubre saison sèche d'hiver. Par l'altitude surtout, il échappe aux funestes effluves de la Basse-Côte. Il ignore la fournaise du printemps soudanais et connaît par contre des températures aux matins de janvier exceptionnellement basses pour un pays tropical. Quel saisissant contraste entre le haut plateau et les profondes vallées qui s'insinuent à ses pieds: celles du Sud: Kolenté, Konkouré, Kakrima où remontent au Nord les moiteurs funestes de la Côte; celles du Nord: Koumba, Bafing où pénètre l'atmosphère torride des contrées soudaniennes !
L'air du Fouta est rigoureusement desséché de décembre à février par l'harmattan, le souffle du désert. L'hygromètre descend terriblement bas certains jours de janvier.
Par contre, lorsque le soleil passe au zénith, vers avril et septembre, surviennent les « tornades ». N'imaginons rien de la brutalité des tornades américaines ou des typhons asiatiques : de bons orages de chez nous, mais dons du ciel combien précieux !
Grâce aux premiers germent les graines de céréales. Les derniers font gonfler la moisson.
Le véritable hivernage ne vient qu'en juillet et jusqu'en septembre: alors s'établit le grand vent marin du Sud-Ouest : l'enfer saharien appelle l'air de l'Océan dont la grosse masse est rafraîchie par l'hiver austral : c'est la mousson ; alourdies d'eau tiède, les couches de sombres nuées accourent en vagues successives à l'assaut des murailles. Elles déversent 4, 5, parfois à mètres d'eau sur les premiers obstacles, en quelques semaines, par exemple à Dubréka, au pied du mont Kakoulima. Elles se faufilent au cœur du Fouta par les vallées de la Fatala, du Konkouré, du Kokoulo, de la Kakrima, de la Kolenté qui connaissent elles aussi les déluges, égayés il est vrai par quelques éclatants rayons de soleil.
Mais l'ouate épaisse reçoit d'incessants renforts qui attaquent la montagne elle-même, se hissent et enfin déferlent à toute vitesse sur les plateaux et les sommets : Dalaba, Mali peuvent rester des semaines entières dans le brouillard, grelottantes, assombries, ruisselantes, nos Vosges en automne !
Bref, bon an mal an, Dalaba reçoit 2.035 millimètres, Pita 1.882, Labé 1.764, Mali 1.893. Si Télimélé, plus basse et en plein vent du Sud-Ouest en reçoit 2,.470, Tougué, au contraire, abritée, au Nord-Est, se contente de 1.660, ce qui en six mois est encore trois fois plus qu'à Paris en un an.
Comparons avec la Basse-Côte: Dubréka encore, près de Conakry reçoit 4.600 et Dakar 580 mm!
Ici, le juste milieu.
C'est grâce à cette pluie et à l'altitude que l'hivernage est frais : la moyenne de juillet à Mali est de 18°6, nettement moins qu'à Marseille. Tandis que Bamako est à 27°3 !
En saison sèche, Mali a 20°13 en janvier, Mamou, dans un creux, 22°4. Mais ce sont les écarts quotidiens qui sont étonnants à cette époque : il parait peu croyable qu'il ne gèle jamais comme on entend affirmer près de . J'ai néanmoins mesuré 7°5 près de au lever du soleil, un matin de mars. Les bananiers indigènes jaunissent. Transis, les indigènes se blottissent contre les brasiers. Au contraire, à partir de 10 heures, un soleil éclatant grille tout. Le sol, rouge de latérite, est si brûlant que les noirs eux-mêmes renoncent à marcher pieds nus: j'ai noté 68° dans le gravillon. Les maxima absolus restent néanmoins très humains: 38° seulement à Mamou, la plus défavorisée des stations, tandis qu'on a mesuré 43°3 à Bamako. Au fort de la chaleur, les stations du Fouta sont le meilleur refuge pour les blancs de l'A.O.F: la Compagnie des Chargeurs réunis a aménagé à Dalaba un hôtel renommé. Quelles délicieuses veillées de printemps, lorsque l'Océan souffle sa brise rafraîchissante du soir. A Mali, le Gouvernement du Soudan aménage une station d'altitude pour ses fonctionnaires, tandis que Pita prétend devenir la cité de repos de Conakry et de Dakar.
A qui le titre flatteur de lit « Dalat Aofienne, », puisque chacune des trois rivales peut offrir ce qui fit l'enchantement de Francis de Croisset à la fameuse Station d'altitude indochinoise ?
Comment s'étonner que le Peuhl se soit laissé séduire ? Au surplus, l'eau ne manque jamais jusqu'à la fin de la saison sèche le Fouta-Dialon s'anime du murmure de ses sources et du grondement de ses écumantes cascades : les grès emmagasinent tant de pluie en hivernage !
Aujourd'hui, des envahisseurs d'un nouveau genre ne parlent-ils pas de houille blanche en franchissant dans un nuage d'écume les passerelles frémissantes du Kin-Kon?

Végétation

En vérité, un seul obstacle eût été rédhibitoire pour les Peuhls, et il faut bien dire que sous cette latitude il serait tout naturel, c'est la forêt. Car celle-ci, surtout la forêt vierge, tropicale, est hostile au parcours. Et les Peuhls, passionnés du bétail, renonceraient à l'Eden plutôt qu'à une vache.
Or, il n'y a pas un seul lambeau de vraie forêt dans ces montagnes. A tel point qu'on peut se demander s'il y en il jamais eu !
Le climat actuel, avec sa saison sèche si longue, est celui qui convient à la savane arborée. Il ne fait jamais aussi sec, ni surtout aussi longtemps dans la forêt Vierge de Haute-Guinée, de Libéria et de Côte d'Ivoire.
A quoi les forestiers rétorquent : c'est la destruction de la forêt par l'homme qui est cause de cette péjoration climatique. Nous prouvons que le Fouta fut jadis le domaine de la grande forêt : d'abord par les essences des galeries forestières, le long des marigots permanents ; ensuite par les îlots de forêt qui se reconstituent spontanément et très vite dans nos parcelles réservées ou classées, à condition que nous les protégions sévèrement contre les feux de brousse des paysans noirs: c'est le cas des environs de Dalaba où sont revenues les fougères arborescentes elles-mêmes. Enfin, jusque dans les contrées les plus épuisées et dégradées, comme le plateau des Timbis, la coupe du sol révèle des horizons superposés qui sont le témoin irrécusable de la forêt disparue. Bref, aujourd'hui, il ne reste plus que trois types essentiels de paysages végétaux :

  • la brousse, plus ou moins arborée suivant le cas:
    • buruure si elle n'est que taillis
    • fitaare si elle a des allures de bois:
      c'est ce que l'on brûle pour que la cendre végétale fertilise le sol du lougan.
  • la prairie, clairsemée de Kouras (Parinarium excelsum) au port de chêne, et de Télis (Erythrophleum guineense)
    • tantôt sur la bordure inondable le long des marigots (dunkiire)
    • tantôt sur l'argile tapissant un plateau (hollaande)
    • tantôt sur les sables qui colmatent une dépression (ndantaari).
      Dans certains cas, cette prairie, tels le « hollaande » du plateau de Labé, est si dégarnie qu'on a peine à y trouver le bois nécessaire à un feu domestique : un des premiers blancs qui y furent, Hecquart, s'en plaignait déjà en Juillet 1851.
  • Reste enfin le boowal (boowe, plur.) quand le ruissellement arrachant sables, argiles et limons laisse à nu la cuirasse latéritique. C'est une vaste surface désertique et torride en saison sèche, jalonnée par les champignons des termitières. Les cynocéphales s'égayent en aboyant à l'approche du voyageur toujours pressé de fuir cette étendue désolée. En hivernage toutefois les graminées consentent à y verdir. Ce qui est évident, c'est que le bowal existe depuis de très longs siècles. Si forêt il y a eu (et cela est plus que probable), il est certain qu'elle était déjà très attaquée par les occupants antérieurs, vrais responsables de l'affreux massacre.

Au contraire, c'est à coup sûr parce que sur les trois quarts de la superficie du Fouta-Dialon ils ont trouvé le boowal que les Peuhls sont venus.

Les traits humains

Le Peuhl

Issu d'Afrique Orientale, grand, sec, le visage ovale du dolichocéphale, le nez fin, à peu près blanc à l'origine, le Peuhl, houlette en main, poussait devant lui son troupeau, en traînant sa smala. Dès le Moyen-Age, il avançait vers le Soudan.
C'est par les vallées du Bafing, du Tinkisso et de leurs affluents qu'il arriva sur les confins orientaux du Fouta-Djalon. Il trouvait là, suivant les régions, Malinkés, Soussous, Dialonkés, Bagas, tous cultivateurs sédentaires, dévastateurs de la forêt par le feu ; car sans le feu de brousse pas de céréales, pas de riz.
Mais sur l'emplacement de l'ancienne forêt, peu à peu s'installait la maigre brousse, puis la prairie à graminées, enfin le boowal de désolation. La terre épuisée, puis désertée par le cultivateur, s'ouvrait au pasteur nomade.
Aujourd'hui encore, c'est ainsi que s'infiltrent ces Foulas, comme les appellent les peuples voisins, sur les boowe du Kébou, près de Télimélé, ou sur les hauts plateaux du Benna, au Nord de Forécariah, tandis qu'en descendent les paysans Soussous: ils n'ont presque plus rien à brûler !
A l'image de ce qui se déroule de nos jours dans ces cantons excentriques, on imagine ce qui se passa depuis cinq ou six siècles au moins dans le Fouta : les autochtones regardèrent à coup sûr avec une certaine commisération ces pauvres hères Peuls qui grimpaient sur le boowal dédaigné. Un peu comme nos paysans des grasses vallées dauphinoises, l'oeil narquois, voient grimper en juin vers les hauts alpages les bergers loqueteux de Camargue avec leurs moutons:

Leydi kaaƴe, kooƴe e koldan
Pays de cailloux stériles, de crève-la-faim et de mal vêtus !

dit un dicton Foula ! C'est bien ce qu'ils eurent dès l'abord.

La guerre sainte

Mais un autre dicton dit aussi:

Leydi Die, Dime, Diina e Dimankaaku
Pays des eaux vives, des arbres fruitiers, de foi et de liberté !

Il s'éveilla vite chez le Poullo (au pluriel « les Foulɓe » selon leur appellation nationale) une ardente convoitise des régions de délices où fleurissait l'oranger apporté par les Portugais au XVIe siècle, où croissait le riz savoureux. Déjà les humbles et misérables bergers se sentaient en nombre. Ils se serraient les coudes et ne perdaient pas contact avec leurs frères de race du Soudan. Ceux-là, déjà musulmans, envoyaient des marabouts, islamisaient secrètement nos Foulas, leur infusaient la passion de la guerre sainte. Quel plus beau prétexte pour justifier la plus convoitée des conquêtes ?
Aussi bien, sans doute vers la fin du XVIIIe siècle, ces miséreux farouches déposèrent-ils la houlette pour sortir des plis de leur amples boubous, sous le signe d'Allah, le sabre, l'arc et la flèche empoisonnée.
Au surplus, ils usaient avec la dernière astuce d'autres armes non moins redoutables par leur pouvoir séducteur : leur capital à cornes et leurs filles, les plus belles d'Afrique.
Les chefs de l'Islam apportaient une loi, un livre, une hiérarchie, les cadres d'un Etat organisé ... ; ou songe à l'histoire des nomades Israélites, guidés par les patriarches et autres zélateurs de Yahvé, pour conquérir une terre promise.
La terre fut entièrement partagée entre les chefs de famille Foulas. Les vaincus, Dialonkés surtout, s'enfuirent ou furent asservis. A ces captifs s'ajoutèrent les esclaves achetés ultérieurement aux négriers comme Samory. Ainsi se fixèrent une société, une assiette rurale, des genres de vie qui subsistent de nos jours.

Population

Environ 750.000 habitants occupent le Fouta actuel. Tous ne sont pas Foulas. Il faut compter au moins un tiers, parfois la moitié de « captifs ».
Tous ont adopté la langue Foula, l'Islam, la hiérarchie féodale des chefs et des marabouts.
Certes, il y a eu un métissage constant des deux races en raison de la polygamie. Mais si nos Foulas sont devenus bien noirs, ils n'en ont pas moins conservé souvent fort purs certains traits physiques qui les distinguent des vrais nègres : ils restent très grands et minces, ils ont le nez droit et fin. Leurs femmes, coiffées du cimier national, sont étonnamment bien moulées et surtout

  • la culture maraboutique
  • l’étude du Coran
  • l'observance des lois du Prophète
  • l'autorité quasi sacrée des chefs authentiques

Confèrent à ce peuple un prestige tel qu'il peut se considérer comme la race noble.

Les serfs n'y contredisent pas, non plus même que les peuples noirs voisins, rivaux jaloux mais craintifs, toujours diminués, tels les Soussous, par un insurmontable complexe d'infériorité.

Habitat

Cela explique d'abord que l'habitat Foula ne se confonde jamais avec l'habit du captif: le noble a son carré, le galle, où est sa case avec celles de chacune de ses femmes.
Le village Foula, faits de galles adjacents, est le foulaso (dans le Sud on dit marga) où les cases sont très disséminées, se noient sous la verdure des orangers, manguiers, papayers et bananiers.
Le foulaso ou marga relève d'un village plus considérable, comme nos hameaux relèvent de la commune. Ici le clocher est remplacé par la misiide, la mosquée.
Aucune case noire n'est comparable à la maison que le Foula élève à Allah. Quelle splendeur énorme avec ses 15, 18, parfois plus de 20 rangs de paille ! Pauvres case Soussous ou Malinkés, à côté.
Mais le village Foula s'installe au bon endroit : sur le haut plateau (doŋol), sur les buttes qui le dominent, couronnées de Kouras ombreux ; sur les sommets (Fello) ; bref, où il fait bon vivre et dans un site de défense d'où l'on peut aisément dominer la vallée, la plaine, où grouillent les miasmes, les ennemis et les captifs.
Le captif, en effet, est refoulé dans les mauvais coins le plus souvent : la vallée profonde. Pas un Foula n'habite l'affreux fond de la Komba. La vallée de la Kakrima est peut-être le plus typique ramassis de villages de captifs :

« Çà c'est Fouta, — dit le Foula, gonflant sa poitrine d'air pur sur son haut plateau. Avec quelle fierté aussi !
— En bas, mauvais ! C'est Aynde. Beaucoup captifs ! »

A priori pourtant, le village des serfs apparaît semblable au foulasso. Cependant point de mosquée, puisque Islam et aristocratie sont liés. Et le nom change, c'est le Runde. Peut-être parce que Runde signifie « sur la tête » en Foula, c'est-à-dire porter (??) 2.
De fait, le captif est corvéable à merci, et taillable. C'est au Runde que le chef Foula va chercher ses porteurs, les prestataires, les futurs tirailleurs...

Les genres de vie

A l'origine, enfin, la même distinction existait dans les genres de vie : au captif (le mattyudho), la glèbe ; au noble, le Fouta, le bétail.
Aujourd'hui, le Foula continue certes, passionnément, à élever ses vaches aux longues cornes: Il ne peut se passer de lait caillé pour assaisonner riz, fonio ou maïs pilé. Surtout le « boeuf » est sa fierté, la marque de sa noblesse plus encore celle de sa richesse. A tel point qu'il préfère avoir faim, plutôt que jamais abattre un bœuf ; porter, plutôt que charger un boeuf, piocher à la main plutôt que labourer [à la charrue]. Le bœuf, c'est sacré, un don d'Allah. Et intouchable.
Mais le ci-devant captif aujourd'hui s'essaie aussi à élever pour s'enrichir et pour améliorer son état social. De même le Foula a dû se mettre à la culture.
L'assiette Foula est aussi fixe que le cadastre en Europe. Chacun sait fort bien où il a le droit de brûler, chaque printemps, pour établir soit lougan: son « ngesa ». Cela, c'est le gros œuvre annuel, et les fils des anciens captifs de la famille prêtent toujours main-forte. Hélas, le Foula lui-même, sédentarisé, devenu paysan, a adopté cette espèce d'économie rurale de la déprédation qui consiste à vivre en tuant la forêt. Les rendements sont dérisoires, 7 à 10 quintaux de riz à l'hectare, encore moins de fonio, et on en perd la moitié en les pilant pour les décortiquer... Que restera-t-il du Fouta-Dialon dans quelques décades à ce train-là ?
Pourtant, le Foula a en outre sa culture de galle : l'enclos où sont les cases familiales, soigneusement protégé contre les incursion du bétail par une haie vive: le hoggo. Là, [dans le suntuure] la ménagère accumule les détritus domestiques, les engrais animaux; elle travaille dur et sollicite ce potager avec un acharnement qu'égale seule la générosité de son sol. Chaque hivernage y voit prospérer avec une prodigieuse fécondité maïs, taros, patates, cotonniers, maniocs, potirons et autres semés en vrac : depuis des générations certains maïs acceptent de produire en six semaines !
Autant le ngesa en brousse relève de la culture extensive, autant le [suntuure du] galle rend intensément: ces filles de farouches nomades sont devenues expertes en l'art potager !
Cette terre où coulent le lait et le miel nourrit 25 habitants au kilomètre carré sur les plateaux favorisés de Mali, de Labé, de Dalaba. Record égalé seulement par le pays Mossi en A.O.F. Le cercle sénégalais de Kédougou, immédiatement au Nord, en a 20 fois moins !
Au reste, d'une partie à l'autre du Fouta-Dialon les facteurs physiques et humains varient sensiblement. On s'expliquerait mal les rivalités acharnées qui ont dressé les uns contre les autres les divers diiwe foulas constitués après la guerre sainte, si l'on ne discriminait pas les différentes cases du damier foutanien, si bien distinctes les unes des autres.

Les régions naturelles

En effet, par son relief même, que gorges profondes et vertigineuses falaises découpent en tous sens ; par ses variétés de sols (ici, latérite de boowal; là, sables médiocres des plateaux à fonio ; ailleurs, versants graveleux où croît le riz de montagne ; près des marigots, le gras et limoneux manteau du dunkiire inondable) ; par ses différents paysages végétaux, cette terre promise est compartimentée en une série de régions naturelles que l'histoire devait aisément contribuer à transformer en provinces. Ainsi apparaissent

  • d'abord les hauts plateaux du centre: du Sud au Nord, Dalaba, Pita-Labé, Mali
  • d'autre part, le plateau oriental du Bafing et de la Téné
  • enfin une ample marge périphérique où le Foula doit se défendre contre une nature qui n'est plus spécifiquement foutanienne et une population qui lui dispute le terroir.

Les hauts plateaux

De Mamou au Nord de Mali les hauts plateaux du Fouta-Dialon constituent l'ensemble le plus fortement individualisé du pays Foula, grâce à l'énorme épaisseur des sédiments et des venues éruptives qui y recouvrent le socle : toujours plusieurs centaines de mètres, plus de mille à Mali. De là résulte l'existence de falaises puissantes qui les délimitent nettement, tant à l'Est, au-dessus du plateau oriental, où le socle primitif est dénudé qu'au Nord, au-dessus des plaines de la Gambie, et même à l'Ouest, dominant les régions basses où le soulèvement récent a été beaucoup plus faible.
D'autre part, certains puissants torrents ont creusé au coeur même du massif, jusqu'à moins de 400, ou même 300 mètres. Ils enfoncent ainsi en coin de grandioses reculées que fuient les Foulas, et qui par leurs festons découpent l'ensemble en trois unités bien délimitées : la gorge du Kokoulo à l'Ouest, opposée par le sommet à celle de la Téné à l'Est, permet en effet de considérer à part le massif de Dalaba qui ne réunit plus au plateau central qu'un très mince pédoncule à Bomboli.
Le plateau central proprement dit est celui qui porte Pita au Sud, Labé à l'Est, les Timbis à l'Ouest, Popodara au Nord. Encore est-il lui-même haché par les vallées de la Fétoré, de la Sala, et surtout le formidable cañon de la Kakrima.
Plus au Nord, il cesse brusquement à In coupure de la Komba qui, de l'Ouest, vient à la rencontre de la Gambie à l'Est.
La route de Labé à Mali est obligée de descendre dans ce redoutable sillon torride et pestilentiel. Elle n'en sort que par des rampes record qui l'élèvent enfin jusqu'au Doŋol de Mali. Là, l'énorme entassement des venues doléritiques hisse le massif du Tangué jusqu'à 1.515 mètres au Mont Loura, tandis que le massif méridional de Dalaba n'arrive qu'à 1.435 et que, sur le plateau central, toute une série de sommets se contentent de 1.250 environ. C'est là le vrai Fouta géographique : le Foula y trouve la trilogie qui est à la base de son genre de vie actuel :

  • le Fello, la montagne ou la butte dominante. Là il fixe le foulaso ou la misiide
  • le Doŋol, le plateau où paît le troupeau en hivernage, où croît le fonio sur les prairies
  • le Aynde, la vallée profonde où descendent les bêtes de février à mai, près des marigots qui coulent encore. Là les captifs, bravant le climat pénible, cultivent avec de meilleurs résultats que les foulas du doŋol: ce sont les seules bonnes terres à riz. Les maîtres, friands de la céréale noble qui ne peut guère prospérer sur le doŋol trop frais, en exigent une bonne part à titre de redevance.

Rien d'étonnant à ce que les hauts plateaux soient surpeuplés. L'excellente carte au 1/200.000 les montre couverts de villages. Le voyageur n'est guère en peine d'y trouver le gîte et le couvert. Aussi bien le pays de Labé à lui seul est-il réputé la moitié du Fouta-Dialon ! La meilleure moitié, Labé est capitale Foula, toujours rivale de Timbo, le grand centre national du plateau oriental.

Le Plateau oriental

Celui-ci a eu certes plus d'éclat historique : Koïn, Fougoumba, Porédaka, Timbo sont des noms prestigieux de la guerre sainte. Mais c'est pour des raisons politiques et historiques. La, en effet, arrivent du Soudan, par les vallées du Bafing et de la Téné, les routes par où sont venus les Foulas jadis. Là s'installèrent les premiers pâtres parce que c'est un royaume du boowal.
Mais l'altitude n'y est que de 750 mètres en moyenne, sauf quelques hauts boowe : on sait qu'ici l'érosion a déjà réussi à arracher la couverture sédimentaire, mettant à jour le socle cristallin, presque jusqu'au pied de la falaise surplombante du Labé. La fraîcheur y est moindre. A l'abri des hauts plateaux les vents du Sud-Ouest déversent moins d'eau : 33% de moins à Tougué qu'à Télimélé. Le sol est plus épuisé, sauf dans quelques vallons exceptionnellement favorisés, comme celui de Timbo.
Enfin la relative monotonie du relief rend beaucoup moins
nette l'économie fondée sur l'exploitation combinée de la montagne, du plateau et de la vallée. Bref, il semble clair que si Timbo était la résidence du chef suzerain suprême du Fouta, cela n'empêchait pas Labé d'être le centre du pays Foula. Mais jadis le proconsul maître des Gaules ne résidait pas à Lutèce : pour contenir le barbare de l'Est, c'est sur le Rhin qu'il demeurait. Ici, à l'Est, il faut contenir les Malinkés. C'est intentionnellement que Timbo était sur l'extrême bord sud-oriental du pays. Heureux Prince de Labé, sans souci des incursions étrangères ! Que de fois, on' l'imagine, l'Almamy enturbanné n'a-t-il pas dû contempler cette lointaine falaise bleue au Nord-Ouest où se juchait dans sa félicité un si inquiétant vassal !

Les Marches du Nord, de l'Ouest et du Sud

Ce prince, de son côté, et les autres chefs des diiwe assouvissaient leur ambition aux dépens des contrées voisines.

Au Nord, ce sont les pays de la Gambie. Le relief foutanien y expire, On y passe aux mornes surfaces sénégalaises et soudanaises. Seuls quelques îlots de dolérite, de granite ou schistes divers crèvent encore la plaine latéritique. Il ne tombe plus guère qu'un mètre d'eau par hivernage. La chaleur est torride. Le Foula n'y est pas à l'aisé et les peuplades farouches savent s'y défendre : ce sont les Dialonkés du Sangalan au Nord-Est, les Bassari ou Tendas entre Bharak et Kedougou, les Coniaguis autour de Youkounkoun.
A leur contact les Foulas sont d'un niveau médiocre, leur Islam s'émousse ; ils sont sur la défensive.

A l'Ouest, au contraire, les bas plateaux au Sud de Gaoual et autour de Télimélé compensent leur faible altitude par une plus grande humidité et une immense étendue de boowe propres à l'élevage. Enfin les nombreuses vallées des réseaux de la Tominé, du Cogon et de la Fatala se prêtent souvent aux cultures tout en entretenant en saison sèche des terrains de parcours acceptables. Aussi voyons-nous encore là, par exemple dans le Kébou, ces « Foulas de la brousse » vivre en nomades, comme firent leurs pères dans le vrai Fouta. Restes du passé, ces pasteurs vivent sur le bowal pendant l'hivernage jusqu'en janvier ; puis descendent vers la côte au fond des vallées, pendant les mois secs jusqu'en mai. Ils usent habilement de leur bétail qui fait bien des jaloux, des charmes de leurs fille ; ils s'infiltrent, ils intriguent, ils sont devenus prépondérants dans bien des cantons : seul l'ordre français les empêche d'asservir par la force les cultivateurs autochtones.

Enfin tout au Sud, au delà du Aynde (vallée) du Konkouré, dans le Aynde de la Kolenté, plus loin encore dans les montagnes entre Kindia et Forécaria, et surtout dans le haut massif du Benna, vrai petit Fouta à lui seul, les derniers nomades Foulas usent des mêmes méthodes aux dépens des infortunés Soussous. Ils y trouvent une série de hauts plateaux gréseux, surmontés de sommets ; le tout est découpé en cases de damiers par les « aydhe » des profondes vallées. Fello, Doŋol, Aynde, rien n'y manque en vérité, sauf que le Soussou tient encore la terre, maintenant le fier Foula dans un état rudimentaire.
Nul doute que sans notre paix française, les Soussous ne seraient captifs jusqu'à la nier. Car il reste ardent au fond du coeur Foula l'esprit de la guerre sainte qui ne fait qu'un avec le sens national.

Conclusion

Pourtant ce peuple, en dépit de sa fierté et de soit élan, est arrêté dans sa marche en avant. D'abord par la géographie elle-même. On a vu que c'est la montagne qui lui convient. C'est elle qui lui a offert son cadre idéal : on s'est attaché ici à montrer que sa vie même est inséparable des termes de Fello, Doŋol et Aynde : montagnes, plateaux et vallées le font vivre.
Mais si le Aynde s'étend à l'infini, le Foula peut redevenir le Peuhl errant du Soudan. Il cesse d'être le vrai Foula du Fouta-Dialon, pays des eaux vives, des arbres fruitiers, de foi et de liberté où il a créé une civilisation si attachante.
Au surplus, l'évolution historique l'a bridé. Le Blanc est venu, le plus fort. Allah l'a voulu ; l'Islam dit soumission. Il est certain que le Foula, après les quelques soubresauts sporadiques du début de ce siècle, est devenu le plus calme de nos Africains, sous notre compréhensive et souple tutelle.
Il lui en coûte: le captif est naturellement émancipé en droit. Il l'est de plus en plus en fait quand il revient gradé du service militaire, quand il a préféré l'école rurale française à l'école maraboutique où il chantait le Coran et apprenait l'arabe. Le Foula lui-même se modernise: l' « écrivain » du bureau administratif, le commis des P.T.T., le chauffeur de voiture, se « défoulanisent ». Voici la cigarette; la charrue se voit partout dans le Labé, dans les Timbis, le feu de brousse disparaît, l'industrie même est tentatrice: on extrait et vend l'essence d'orange ! Bien plus, les jeunes sont boys des blancs, serveurs recherchés dans les restaurants de Conakry et de Dakar ; ils portent le casque colonial, le pantalon, la chemise Lacoste... ils se rasent, bref « manières de blancs ».
Certes les vieux se lamentent : « cette jeunesse d'aujourd'hui » ! Ils s'obstinent encore aux cheveux tressés, au vêtement arabe, à l'observance très scrupuleuse des rites religieux...
Au nom de la civilisation bien des changements étaient indispensables et il serait naïf d'espérer qu'ils ne s'accompagnent pas d'une séquelle de nos propres vices.
Du moins comprend-on parfois les regrets de ceux qui jugent en poètes et refusent d'applaudir au sapement de cette civilisation de l'Islam noir, de l'originalité que lui donnait son attachement intime à la glèbe du Fouta-Dialon

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